mercredi 25 novembre 2009
Une députée UMP veut interdire le port du voile islamique à l'Assemblée
Souvenons-nous du débat en France pour l'interdiction du voile, on a juré la main sur le coeur que cela ne concernerait que l'école...
La députée UMP Françoise Hostalier a interpellé mardi ses collègues du groupe majoritaire sur la nécessité de modifier le règlement de l'Assemblée nationale pour que le port du voile islamique soit interdit dans les tribunes réservées au public dans l'hémicycle.
Dans le huis clos de la réunion du groupe UMP, l'élue du Nord, ancienne ministre, s'est émue d'une lettre adressée par le président de l'Assemblée à chaque député.
Bernard Accoyer (UMP) y rappelle que "l'article 8 de l'Instruction générale du Bureau dispose, parmi différentes prescriptions relatives à la tenue du public, que ce dernier doit se tenir +découvert+" avant d'affirmer que "cette prescription, vieille de plus d'un siècle, ne saurait être opposée au port du foulard" et vaut uniquement pour le "couvre-chef" des hommes.
M. Accoyer "rappelle que les libertés de religion et d'opinion font partie des droits fondamentaux des citoyens" et que le port de signes (ou tenues) religieux est interdit par la loi "dans les seules écoles, collèges et lycées publics, ce qui signifie bien, a contrario, qu'il est autorisé dans les autres lieux publics".
Une interprétation dénoncée par Mme Hostalier, qui a été applaudie par ses collègues UMP. "Alors qu'on tient un débat sur l'identité et les valeurs de la République, si on n'est pas exemplaire à l'Assemblée sur ces thèmes-là, où peut-on l'être ?", a-t-elle déclaré à l'AFP.
La polémique -récurrente- sur ce sujet a resurgi le 12 novembre quand des députés ont aperçu une jeune fille portant le voile islamique dans les tribunes de l'hémicycle.
Mme Hostalier, connue pour son engagement en faveur des droits des femmes et des sans-papiers, dénonce la fin de non-recevoir de M. Accoyer et veut qu'il soit stipulé dans le règlement de l'Assemblée que le public "se tient assis, découvert et en silence" dans les tribunes. Elle menace de lancer une pétition si la position du président de l'Assemblée n'évolue pas.
"Ce sont les femmes musulmanes elles-mêmes qui nous demandent d'être fermes sur ces principes" face à "la montée des intégrismes".
Pas mécontent de prendre le contrepied du président de l'Assemblée, le patron des députés UMP, Jean-François Copé, a salué l'initiative de Mme Hostalier et réaffirmé que le public admis en séance devait être "découvert".
Une autre phrase du courrier de M. Accoyer -rappelant qu'il n'a jamais été "imposé aux religieuses présentes dans les tribunes du public de se défaire de leur voile"- a également provoqué des remous au sein du groupe UMP.
"C'est faux !", a déclaré le député de l'Ain, Michel Voisin, en rappelant qu'en février 2000, un aumônier militaire et une religieuse qui l'accompagnaient avaient dû retirer, l'un sa croix, l'autre son voile.
(AFP)
dimanche 18 octobre 2009
Imam de Bordeaux, Tareq Oubrou est théologien et homme de terrain : une position qui lui permet une prise de distance par rapport aux institutions musulmanes et, notamment, à l'égard de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), dont il est issu. Il vient de publier Profession imâm (Albin Michel, 248 pages, 16 euros), un livre d'entretiens avec deux chercheurs.
L'islam en France repose la question de la laïcité. Il a introduit dans la société un sang neuf religieux qui tend à "banaliser" la religion dans l'espace public, même si cela ne veut pas dire qu'elle est acceptée. Il nourrit même un certain retour au christianisme. On peut donc dire que l'islam favorise une forme de désécularisation de la société, tout en attisant l'intégrisme laïc et catholique.
Sur le plan individuel, la religiosité se fait désormais par une approche individuelle ; la sécularisation et la modernité ont plongé les musulmans de France, comme les autres croyants, dans une autonomie, qui les amène à chercher des pratiques religieuses dans un tâtonnement total sans médiation des institutions classiques.
Dans ce contexte, on constate une tentation de crispation et de repli identitaire, qui s'explique aussi par des raisons sociales : plus on est dans la marge, plus on est tenté de construire une religion bouclier contre la société et les institutions. Une nouvelle forme de piétisme se développe dans nos lieux de culte. Il faut canaliser ce mouvement, le modérer, mais non pas chercher à l'éradiquer. Même s'il est difficile de dialoguer avec ces groupes, qui ne sont pas armés théologiquement pour discuter au fond, il ne faut pas les agresser car cela les poussera à se radicaliser. Peut-être cette catégorie de jeunes est-elle le signe d'un certain échec de la communauté à préserver ses fidèles de ce type de religiosité.
Comment faire admettre votre concept de "charia de minorité", qui défend la possibilité de se conformer à la loi islamique et aux valeurs républicaines, à ces nouveaux groupes qui prennent leurs avis religieux sur Internet ou en Arabie saoudite ?
Je pars d'une réalité française laïque, qui met à l'épreuve toute une tradition, pour offrir aux musulmans un système normatif leur permettant de vivre leur islam et leur citoyenneté française. Seuls survivront spirituellement les musulmans qui savent modérer, adapter, et négocier leurs pratiques avec la réalité de la société française. Je n'ai pas d'emprise sur ceux qui ne veulent pas réfléchir à cela et ont décidé d'être contre la société, contre la France et même contre les musulmans qu'ils considèrent trop "light".
Quelle est aujourd'hui votre position sur le port du foulard islamique ?
Si je voulais être provocateur, je pourrais dire aux femmes : mets ton foulard dans ta poche. Aujourd'hui, je dis que c'est une recommandation implicite qui correspond à une éthique de pudeur du moment coranique. Pour autant, une femme qui ne le met pas ne commet pas de faute. Mais, aujourd'hui, la communauté musulmane est fragile, et s'attache à des adjuvants et à des normes. C'est aberrant de réduire une femme musulmane à son foulard ; c'est de l'ignorance. Le foulard n'est pas un objet cultuel, encore moins un symbole de sacré. En outre, cette visibilité est néfaste car, à long terme, cette pratique pose des problèmes spirituels et psychologiques aux femmes qui veulent étudier ou travailler. Je n'ai pas le droit de tromper ces jeunes filles. Le problème, c'est que lorsqu'elles enlèvent le foulard, elles arrêtent aussi de prier. Cela dit, je crois que chacun est libre de s'habiller comme il veut, de choisir la lecture de l'islam qui lui convient, même si je ne la partage pas.
Les jeunes musulmans mettent en avant l'islamophobie dont les pratiquants seraient victimes, ce qui rendrait difficile leur vie en France. Qu'en pensez-vous ?
Le racisme n'est pas une nouveauté, mais l'islamophobie présentée comme un fléau de notre société, je ne la vois pas. Je n'accepte pas cette position victimaire et cette posture de consommation de droits. C'est vrai que les jeunes de la deuxième génération sont enclins à quitter la France, pour l'Angleterre ou un pays musulman. En attendant, certains vivent leur religiosité avec douleur, à cause du climat médiatique et sociétal français, dans lequel la visibilité religieuse devient vite suspecte. Mais je leur dis que le diable est partout ! En outre, l'islamophobie est parfois développée par des musulmans eux-mêmes qui, par leur comportement et leur visibilité, peuvent faire peur à nos concitoyens non musulmans.
lemonde.fr 15/10/09
samedi 3 octobre 2009
Bravo et encore Bravo aux membres de l'association MALI qui ont eu un réel courage physique d'aller jusqu'au bout de leurs convictions !
”Tu as de la chance, si ça ne tenait qu’à moi, je te massacrerais”
Un dé- jeûneur témoigne
“Ah, c’est lui qui ne croit pas en Dieu…”
Je veux rester anonyme. J’habite un quartier populaire de Casablanca. Comme beaucoup de jeunes Marocains, je me suis inscrit sur Facebook pour chatter, pour lier connaissance, pour débattre aussi. Vendredi 11 septembre, j’ai reçu une invitation me suggérant de rejoindre le groupe MALI. Après avoir visité la page, j’ai accepté, car le groupe en question défend des idées auxquelles j’adhère. L’avant-veille du pique-nique symbolique, j’ai contacté Zineb El Rhazoui pour lui confirmer ma présence. Dimanche 13, je me suis donc rendu à Mohammedia et j’ai retrouvé mes amis à l’intérieur de la gare. Mais la police nous a regroupés et nous a ordonnés de reprendre le train suivant pour Casa.
Deux jours plus tard, je revenais de la bibliothèque. J’étais sur le point de rentrer dans mon immeuble quand je vois le moqaddem de mon quartier se diriger vers moi, suivi de policiers. Je les ai salués et nous avons un peu marché, bras dessus bras dessous. Il m’ont alors demandé de monter dans une estafette. J’ai d’abord refusé parce qu’ils n’avaient pas de convocation écrite puis, devant leur insistance, j’ai fini par accepter. Ils m’ont alors conduit au commissariat du quartier. Une fois sur place, j’ai accompli les formalités d’usage : smyet bak, smyet mok, nimirou d’la carte. Après 15 minutes, j’ai été transporté à Mohammedia. Il devait être 18h.
Arrivé dans le bureau du chef de la PJ, il m’a traité d’emblée de “fils de p…”. J’ai été menotté, contraint à m’asseoir par terre, et harcelé par les policiers : “Alors, espèce de pédé, tu es actif ou passif ?”, “Tu crois en Dieu ?”. L’un d’eux m’a lancé d’un air menaçant : ”Tu as de la chance, si ça ne tenait qu’à moi, je te massacrerais”. Entre deux insultes, bizarrement, on me demande si j’ai lu Nietzsche. Pourquoi Nietzsche ? Puis on me questionne sur mon enfance, l’école primaire que j’ai fréquentée… A un moment, l’un des flics me demande le nom de “mon petit ami”. Je réponds que je n’ai pas “un”, mais “une” petite amie. Ils enchaînent : “Et si tu trouves ta sœur chez toi avec son copain, tu lui fais quoi ?”. L’ambiance est oppressante, les interrogateurs franchement hostiles. Quand je leur dis que je ne supporte pas l’odeur de la cigarette, ils se mettent à me souffler leur fumée au visage. Depuis le matin, ma famille n’a pas de nouvelles. J’imagine que mes proches commencent à s’inquiéter. Finalement, je suis autorisé à quitter le commissariat, après avoir signé un PV. Il est cinq heures du matin. Je n’ai plus de portable, il a été confisqué par la PJ.
Jeudi, c’est le 27ème jour de ramadan. Je suis de retour au commissariat à 10 heures du matin, et j’ai droit au même traitement. Un policier met sa main sur mon visage et me pousse en arrière, un autre me menace de me rouer de coups de pied. Ils ont l’air d’attendre que je réagisse, que je leur donne un prétexte pour me passer à tabac. Mais je fais tout pour me maîtriser, extérieurement du moins, car à l’intérieur, je bouillonne. A un moment, une trentaine de policiers descendent de leurs bureaux pour me scruter, comme si j’étais une bête curieuse : “Ah ! c’est lui qui ne croit pas en Dieu…”. Pour me narguer, les flics me proposent de me ramener quelque chose à manger avant le ftour. Je refuse. A l’heure de la rupture du jeûne, ceux-là mêmes qui m’insultaient me ramènent de la harira. A un moment, l’ambiance se détend. On plaisante même.
A 1 heure du matin, je peux enfin rentrer chez moi. Aujourd’hui, les voisins ont peur de rendre visite à ma famille, certains de mes amis sont étonnés de me voir libre : “Tu n’es pas en prison ? On nous a dit que tu en avais pris pour trois mois pour avoir tenté de convaincre des gens de rompre le jeûne”. Non non, aujourd’hui, je suis libre. Mais demain ?
Les dé- jeûneurs de Mohammedia - Interview de Zineb El Rhazoui,
“La police ne me fait pas peur”
Après une semaine de disparition, Zineb El Rhazoui s’est présentée au procureur du roi de Mohammedia, avant d’être entendue par la police judiciaire. Assise à la terrasse d'un café, pressée de coups de fils de journalistes auxquels elle répond dans un arabe classique
parfait, elle raconte son périple avec assurance. Entretien.
Que faisiez-vous pendant tout le temps où vous avez disparu ?
J’étais chez Abdellah Zaazaa. Je vivais normalement, je sortais, je continuais à lire la presse. Mais je n’étais en contact ni avec les membres du MALI, ni avec ma famille.
Craigniez-vous d’aller voir la police ?
Non, la police ne me fait pas peur. Je voulais juste prendre du recul… Je n’ai pas enfreint la loi. Je n’étais donc pas en fuite. Je n’étais ni convoquée, ni poursuivie pour quoi que ce soit. Sinon, la police m’aurait interpellé à Mohammedia, dimanche 13 septembre.
Voir votre photo étalée dans toute la presse, ça vous fait quoi ?
De la part d’une presse de caniveau, rien du tout. Cela m’a fait bien rire de lire un article annonçant que j’avais été arrêtée, alors que j’étais tranquillement devant mon ordinateur.
Qu’avez-vous pensé en apprenant qu’un conseiller du roi avait convoqué les partis suite à votre tentative de pique-nique, ou que le conseil des Oulémas avait qualifié votre action d’“odieuse” ?
Concernant les oulémas, je n’ai aucune reconnaissance pour leur travail inquisitoire. Face à cette vague de lynchage, j’ai pris le temps de réfléchir. J’ai été citée nommément dans une dépêche de la MAP. Les JT des deux chaînes ont parlé d’une journaliste travaillant au Journal hebdomadaire, alors que j’avais démissionné. Pour ce qui est des partis politiques, tous sclérosés à mon sens, sont-ils vraiment au cœur du débat social ?
Pourquoi avoir finalement décidé de vous présenter au procureur du roi ?
Je souhaitais qu’il m’explique ma situation juridique. Il m’a dit qu’il n’y avait, pour l’instant, ni poursuite ni mandat d’arrêt contre moi. Il s’est contenté de vérifier que j’étais bien
Zineb El Rhazoui, co-fondatrice du MALI. Il m’a ensuite déclaré que la PJ allait prendre ma déposition.
Comment s’est déroulé l’interrogatoire ?
Très courtois. Les questions portaient sur ma croyance, mes convictions, mes rapports avec les journalistes marocains et étrangers. Les policiers ont
demandé si le MALI recevait des financements internes ou externes. J’ai répondu que nous n’avions besoin d’aucun financement pour acheter 4 sandwichs et des tickets de trains.
Avez-vous pu lire votre PV avant de le signer ?
Oui. J’ai même assisté à son écriture. Toutes les phrases m’étaient lues avant d’être tapées…
Pensiez-vous susciter un tel tapage médiatique ?
Nous savions qu’il y avait un risque. Ramadan suscite une animosité particulière alors que c’est un des cinq piliers de l’islam, au même titre que la prière. Avez-vous déjà vu quelqu’un se faire lyncher pour ne pas avoir respecté la Zakat ? Lorsqu’on décide de défendre les libertés individuelles, soit on défend le tout, soit on s’abstient. L’essentiel pour nous était d’ouvrir le débat.
Si c’était à refaire ?
On le referait. Nos convictions restent intactes.
De la même manière ?
Probablement. C’était une action symbolique, une méthode alternative. Nous n’avons pas voulu faire ça dans un cadre institutionnel.
Avez-vous peur de représailles ?
Personne n’est à l’abri. Ce n’est pas aux islamistes ou aux fanatiques de dicter leur loi. Je ne prends pas en compte les menaces de mort que j’ai reçues par dizaines. C’est l’œuvre de lâches qui se cachent derrière de fausses identités. D’un autre côté, j’ai reçu des dizaines de messages de soutien et de remerciements, de la part de citoyens lambda…
Quelle suite comptez-vous donner à votre mouvement ?
Nous allons continuer à défendre nos convictions, en toute légalité.
Avez-vous pris contact avec un avocat, en cas de poursuite ?
Notre groupe serait alors défendu par Abderahim Jamaï, qui s’est proposé spontanément pour nous défendre.
Votre boite mail a été piratée, et certaines de vos conversations privées publiées dans la presse. Une réaction ?
J’envisage de porter plainte, car il s’agit d’un acte illégal puni par la loi, qu’il s’agisse des hackers ou des titres de presse qui ont divulgué le contenu.
Finalement, votre disparition et le tapage médiatique ont servi votre mouvement…
Avec quelques sandwichs, nous avons réussi à jeter un pavé dans la mare. C’était l’objectif
Le Pique-nique du Ramadan
Parce qu’ils ont voulu organiser un “pique-nique symbolique”, pour protester contre la loi qui punit la rupture du jeûne du ramadan en public, six jeunes marocains ont vécu une incroyable aventure – et ce n’est pas fini. TelQuel reconstitue toute l’affaire, jour après jour.
Evaporée dans la nature depuis jeudi 17 septembre, la journaliste Zineb El Rhazoui a refait surface sans crier gare une semaine plus tard. Mercredi 23 septembre, en milieu d’après-midi, la co-fondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI) à l’origine de la tentative de manifestation de “dé-jeûneurs” durant le ramadan, s’est rendue à la police judiciaire de Mohammedia. Elle n’avait pas donné signe de vie à ses proches, amis et famille, depuis sa disparition. “La dernière fois que nous avons communiqué, c’était par mail car son téléphone était éteint jeudi matin. Elle devait se rendre à la police judiciaire de Mohammedia”, affirme Ibtissam Lachgar, membre de MALI. Depuis, silence radio.
Cherche Zineb désespérément
En début de semaine, une dépêche de l’AFP, citant une source proche de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), affirmait que “cette fille (sic !) n'a pas été interrogée jeudi et elle ne se trouve pas chez la police à Mohammedia ou ailleurs au Maroc”. Une annonce qui n’avait pas satisfait pour autant Khadija Ryadi, présidente de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), qui disait, deux jours avant la réapparition de Zineb : “Les informations qui circulent sur (son) cas sont contradictoires. On ignore si elle a disparu de manière illégale, ou si elle se cache par peur”. Du côté de la famille El Rhazoui, on s’était également mobilisé. “On essaye tous les jours de l'appeler, de lui envoyer des mails. En vain”, nous avait confié par téléphone la sœur de Zineb, Sara, installée à Paris. Le 20 septembre, la famille, toujours sans nouvelles, a contacté le Quai d’Orsay (ministère des Affaires étrangères) à Paris – “à contre cœur” selon Sara El Rhazoui. “Au début, on ne voulait pas le faire, pour ne pas alimenter la théorie de complot étranger, ou par crainte que certains ne se servent de la double nationalité de Zineb pour la casser encore plus. Le Quai d'Orsay nous a dit qu'il allait ouvrir une enquête”. Restait une vive inquiétude, mêlée d’incertitude : “Oui, Zineb court un danger. On ne sait pas ce qui peut arriver si quelqu'un la reconnaît dans la rue. Mais peut-être qu’elle se cache volontairement. C'est possible, puisque sa volonté est de faire parler de l'histoire”. C’est sûr, la disparition de la jeune journaliste a alimenté le buzz médiatique suscité par l’affaire MALI. Sa réapparition aussi soudaine qu’inattendue risque de le relancer.
Accompagnée par des militants de l’AMDH, des journalistes, l’éditorialiste Aboubakr Jamaï, ex-directeur de publication du Journal Hebdomadaire, et de Abdellah Zaâzaâ, figure du militantisme marocain, Zineb El Rhazoui a d’abord comparu mercredi 23 septembre devant le procureur du roi, avant d’être emmenée à la préfecture de police. “Le procureur lui a déclaré qu’il n’y avait aucun mandat d’arrêt contre elle”, nous a déclaré Abdellah Mesdad, président de la section locale de l’AMDH à Mohammedia, que la journaliste avait contacté quelques heures avant de se livrer aux autorités. Pendant sa disparition, Zineb était en fait hébergée par Abdellah Zaâzaâ, dans son appartement de Derb El Miter au quartier populaire El Fida de Casablanca. “Elle va bien, elle a le moral, toujours aussi confiante dans sa démarche”, assure Zaâzaâ. Le militant poursuit : “Elle n’a pas donné signe de vie car elle s’inquiétait, surtout depuis la convocation par le conseiller royal Mohamed Moâtassim des responsables politiques au sujet de l’affaire MALI. Elle avait besoin de réfléchir. A un moment, vu la tournure qu’avaient pris les évènements et le tintamarre médiatique grandissant, elle a décidé de se présenter à la police”.
Au commencement, Facebook
Facebook, réseau social sur la Toile, rassemble depuis septembre 2009 plus de 300 millions de membres des quatre coins du monde. A l'heure où nous passons sous presse, près de 2000 membres du site communautaire ont rejoint le groupe MALI – pour la plupart des Marocains, d'ici et d'ailleurs. Créer un groupe sur Facebook est un jeu d'enfant : un nom, une description, quelques détails d'ordre technique et, en deux clics et trois validations, le tour est joué. C'est ce qu'ont fait Zineb El Rhazoui et Ibtissam Lachgar. La première a 27 ans. C’est une journaliste baroudeuse (supportrice inconditionnelle de la cause palestinienne, elle a couvert les derniers affrontements à Gaza), parfaitement bilingue, issue de l'enseignement public, contrairement à ce que prétendent ses détracteurs. L'ancienne chargée de cours à l'université française d'Egypte prépare un mémoire de Master en sociologie des religions dans la très prestigieuse Ecole des hautes études en sciences sociale de Paris. Ibtissam dite “Betty” Lachgar, 34 ans, est quant à elle une pédopsychiatre installée à Rabat. Quelques années plus tôt, les deux jeunes femmes s’étaient rencontrées en France, fréquentant plus ou moins les mêmes cercles, discutant droits de l'homme et libertés individuelles. Près de huit ans plus tard, elles se retrouvent au Maroc et reprennent leurs discussions estudiantines. Mais cette fois, elles décident de passer à l'action. Sur Internet, pour commencer.
Le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (son acronyme, MALI, signifie en marocain “qu’est-ce que tu me reproches ?”) voit donc le jour sur Facebook le 24 août 2009, peu après le début du ramadan. La description du groupe énumère les libertés individuelles à défendre. Sur la liste, la liberté de culte. “Nous avons commencé par cette problématique parce qu’elle était d'actualité, pas par défiance envers l'islam”, assure Ibtissam. Mardi 25 août, le premier projet d’action est dévoilé : organiser, dimanche 13 septembre, un “pique-nique symbolique”, dans une forêt près de Mohammedia, à l’abri de la foule, pour dénoncer l'article 222 du Code pénal marocain qui stipule : “Celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni d'un à six mois d'emprisonnement et d'une amende de 12 à 120 DH”. “Le mois de ramadan nous semble une bonne opportunité pour amorcer le combat que nous comptons mener dans les mois et les années à venir contre toute forme de ségrégation. On y enregistre une pression sociale qui, au nom d’un soi-disant ordre moral, se transforme en intolérance vis-à-vis de ceux qui ont librement choisi de ne pas croire. Le système devient intransigeant et arrogant, c’est dans l’indignation et la frustration que nous allons donc nous retrouver autour d’un pique-nique pour construire un monde meilleur, égalitaire et libertaire”. C'est ainsi que Zineb El Rhazoui présente, sur Facebook, la première activité du MALI, appelant tous ceux que cela intéresse à se retrouver le 13 septembre à la gare de Mohammedia (un compromis entre les Rbatis et les Casablancais), pour se rendre ensemble dans une forêt proche où jeûneurs et dé-jeûneurs débattront “dans le calme” de la liberté de croyance - qui en mangeant son sandwich, qui en attendant l’heure de la rupture du jeûne.
Dès que l’appel est lancé, les premières réactions sur Facebook commencent par nourrir le débat dans les règles de la bienséance. Mais à mesure que le jour J approche, les échanges deviennent plus électriques. Les insultes fusent, la haine et la menace commencent à suinter dans les commentaires de certains internautes. Après le tohu-bohu qui suivra le 13 septembre, ce sera encore pire : les menaces de mort et les invocations religieuses enfiévrées inonderont la page du groupe MALI ainsi que les messageries privées de ses fondateurs, sans parler des groupes anti-MALI qui pousseront comme des champignons après l’orage. Aujourd’hui encore, les militants des libertés individuelles, ainsi que ceux qui les défendent via des groupes de solidarité, continuent à recevoir des menaces directes par dizaines. “Nous savons à quoi vous ressemblez, on va venir vous égorger”, et autres harangues aussi haineuses qu’inquiétantes. Dernier fait d'armes virtuel : le piratage, mardi 22 septembre, de la page du groupe MALI sur Facebook. A la place, un texte se voulant drôle appelle à libérer “Hazaqistan”, le “pays du pet”. Les arguments volent haut, chez les défenseurs de la foi bafouée…
“Goinfre jusqu’à la mort”
Tout aura donc basculé le dimanche 13 septembre 2009. L’heure du rendez-vous est fixée à 13h. Une heure avant, la gare de Mohammedia est déjà truffée de policiers, en uniforme et en civil. Une vingtaine sont sur les quais, près du double sur le parvis de la gare. “Il y avait la police régulière, les Forces auxiliaires, des motards, des agents des services secrets bien peu discrets… et même la police montée !”, racontera un des six. “J'avais du mal à croire que tout ce déploiement sécuritaire avait été mis en place pour quelques jeunes qui voulaient manger un ridicule sandwich à l'abri des regards, poursuit-il. Mais quand j’ai vu comment ils nous regardaient, j'ai compris que cette démonstration de force était pour nous”. Ghassan, 21 ans, est le premier arrivé sur les lieux. Il rôde en fait autour de la gare depuis 11h30. Il voit les policiers se déployer, se fait contrôler deux fois… Quand il finit par comprendre que ses amis et lui sont la cible de tout ce charivari, il appelle Zineb au téléphone pour la prévenir. Trop tard : elle et Aziz, un autre sympathisant du mouvement, sont déjà dans le train parti à midi de Casablanca. Nizar, 23 ans, est dans le même train, mais dans un autre wagon. Il ne retrouvera Zineb et Aziz qu’à sa descente sur le quai, avant que Ghassan ne les rejoigne, non sans courage vu tous les insignes qui pullulent. C'est la première fois que Nizar rencontre les trois autres en chair et en os, après plusieurs semaines d’échanges virtuels. Après un rapide conciliabule, le groupe des quatre décide de sortir de la gare, décidément trop fliquée à leur goût. Mais pas trop, 500 mètres tout au plus, parce que d’autres sympathisants peuvent encore arriver. Zineb et ses amis commencent donc à passer des coups de fil pour fixer un nouveau point de ralliement. Ils sont en pleine conversation téléphonique quand des policiers les interpellent pour un contrôle d’identité. Cette fois, plus de doute : c’est à eux qu’ils en veulent. Les quatre sont embarqués de force dans un taxi, auquel la police ordonne de repartir vers la gare. Pendant ce temps, Ibtissam Lachgar arrive seule, en train elle aussi, mais en provenance de Rabat. A bord du taxi, Zineb la prévient par téléphone que la gare est encerclée. Arrivée sur les quais, personne, pourtant, n’accoste Ibtissam. Elle sort tranquillement de la station et marche quelques centaines de mètres, son sac sur le dos. C'est au moment où Rahim, le dernier militant venu au rendez-vous de Casablanca (en grand taxi) reconnaît Ibtissam et vient à sa rencontre devant une superette, que la police leur tombe dessus. Contrôle, fouille, photos. Un officier toise la jeune fille vêtue d'un t-shirt estampillé “Mgharba Tal Mout” (Marocains jusqu'à la mort) et lui lance : “Ghellaqa Tal Mout, oui !” (Goinfre jusqu'à la mort). Puis Ibtissam et Rahim sont sommés, comme leur quatre camarades, de retourner à la gare. Les six de MALI sont enfin regroupés, sous bonne garde de la police du royaume.
“Mangez chez vous, mécréants !”
Il est 13h30, et il y a presque autant d'appareils photo que de policiers sur les quais. Journalistes marocains et espagnols, prévenus par Facebook, se pressent pour interviewer les membres de MALI. Ses cofondatrices Zineb et Ibtissam sont au premier plan. Entre un ordre hurlé par un policier, une question posée par un journaliste et un flash qui crépite, le brouhaha s'installe. Sous l’œil inquiet des voyageurs qui cherchent à comprendre ce qui se passe, les policiers finissent par se concentrer sur les six. “Ils nous ont demandé de nous en aller, nous ont dit qu'on serait lynchés si on restait”, raconte l'un des activistes. La police propose même de payer le billet du retour à ceux qui n’ont pas d’argent, pourvu que tous déguerpissent le plus vite possible. Ibtissam et Zineb sont séparées, pour éparpiller la foule de journalistes. “Circulez, on jeûne ici ! Si vous voulez manger, mangez chez vous, mécréants !”, assène un policier à la bande des six en bougeant comiquement les bras. Il est 14h, le train suivant à destination de Casablanca arrive enfin. Les six montent dans le même wagon, accompagnés de deux policiers en civil.
Dans le train, les six décident de tenir une réunion chez Zineb, dès leur arrivée, pour faire le bilan de la première action et le communiquer à la presse. En arrivant à la gare de Casa-Port, les deux policiers en civil disparaissent comme par enchantement. Où sont-ils passés ? Les 6 activistes marchent jusqu’au centre-ville, se retournant sans cesse, essayant de repérer – sans succès – d’éventuels policiers en civil qui les suivraient. Arrivés sur le boulevard Mohammed V, Zineb, Ibtissam, Ghassan, Rahim et Nizar embarquent dans deux taxis. Aziz, le dernier, dit qu’il va d’abord faire un crochet par chez lui, avant de les rejoindre plus tard. Dès leur arrivée au domicile de Zineb, avenue Hassan II, les cinq ont un nouvel accès de paranoïa : dans une voiture banalisée garée en bas de l’immeuble, deux hommes les toisent, les visages fermés. Encore des policiers?? Ceux-là, en tout cas, ne se présentent pas, et resteront dans leur voiture de longues heures durant. En fait, pendant les 10 jours qui vont suivre, les voitures banalisées et les policiers en civil se relayeront pour ne jamais perdre l’immeuble de Zineb de vue.
Nous sommes toujours le 13 septembre, et il est 14h45. Les cinq militants ne sont pas encore remis de leurs émotions quand le téléphone de Zineb sonne. C’est un autre membre du groupe Facebook, qui n’a pas pu accéder à la gare de Mohammedia mais qui a tout de même eu affaire à la police, quelques ruelles plus loin. “S. a été embarqué par les flics, raconte Zineb à ses camarades effarés. Il a été mis en cellule pendant quinze minutes, insulté et giflé parce qu'il avait de la nourriture dans son sac. Il est ressorti, maintenant, mais il dit que c’est la pire humiliation qu’il ait subie de sa vie”. Quelques minutes encore, puis le téléphone sonne de nouveau. C’est Aziz, qui était censé aller chez lui avant de les rejoindre. En fait, sur le boulevard Mohammed V, à peine les taxis de ses amis s’étaient-ils éloignés que des policiers en civil lui tombent dessus à l’improviste (les 6 étaient donc bien suivis) et l’embarquent en un clin d’œil dans une estafette de police garée à quelques mètres de là. A l’intérieur, des policiers en tenue et ses kidnappeurs, qui l’insultent copieusement avant de l’interroger : “Qui est derrière tout ça ?” “Pourquoi as-tu laissé les filles parler à ta place” (?!?). Aziz, sous le choc, renonce à aller chez lui et rejoint immédiatement ses cinq amis, avenue Hassan II. L’ambiance est franchement tendue. “A ce moment, nous pensions que la presse du lendemain allait nous insulter et déverser Dieu sait quelles horreurs sur nous, et nous nous y préparions. Mais aucun d’entre nous ne pensait que la justice allait s’en mêler”, raconte l’un d’eux.
Un “acte odieux”
Le soir du pique-nique avorté, le quotidien espagnol El Mundo relate l'affaire, avec un titre qui restera dans les annales : “Au Maroc, 100 policiers contre 10 sandwichs”. Ce n’est que dans la soirée du lendemain, lundi 14 septembre, que la situation commencera vraiment à se dégrader. A 19h30, l’agence officielle MAP publie une dépêche se félicitant de la “mise en échec d'une tentative de rupture du jeûne à Mohammedia”, et citant nommément “la nommée Zineb Elghzaoui (sic !), journaliste au Journal hebdomadaire” (une fausse information, puisqu’elle avait démissionné 10 jours plus tôt – Le Journal diffusera un communiqué de démenti deux jours plus tard), et la présentant comme “l’instigatrice du mouvement”. Pour la MAP, le groupe Facebook est une “organisation inconnue”, et son action est “appuyée par des étrangers ainsi que par certains organes de presse nationaux et étrangers”. De toute évidence, les inspirateurs de cette dépêche ont voulu profiter de l’occasion pour régler son compte à la presse, considérée depuis peu comme un “ennemi” du régime. Passons. Le plus important, c’est que la même dépêche se conclut par cette phrase inquiétante : “Les promoteurs marocains de cette manifestation, visant à inciter à la rupture du jeûne en public, seront poursuivis en justice conformément à la procédure en vigueur”.
Le coup d'envoi est donné, la chasse aux sorcières peut commencer. Dans la presse conservatrice tout comme dans les journaux partisans, c'est l’hallali : les photos de Zineb El Rhazoui et de ses amis, visages découverts, sont sur toutes les Unes. “Provocation juvénile ou attaque contre l'islam ?”, s'interroge un quotidien. “Ils ne sont pas des nôtres”, assène un second. “Les nouveaux apôtres de la Fitna (chaos)”, ose un troisième… Et, partout, les rumeurs d’arrestation sont présentées, parfois au conditionnel, parfois à l’affirmatif. Plusieurs membres du Mouvement raconteront avoir découvert, dans un kiosque à journaux, qu’ils étaient “en ce moment même” entre les mains de la police…
Plus tard, toujours dans la soirée du 14 septembre, le Conseil provincial des ouléma de Mohammedia emboîte le pas à la MAP et dénonce “cet acte odieux”. S'enchaînent alors dans la presse, dès le lendemain, les amalgames les plus farfelus : on lie l'affaire aux “revendications des homosexuels”, aux caricatures danoises du prophète, à la récente polémique sur la maladie de Mohammed VI, et même… au Polisario !! Que Abdelbari Zemzmi et Mustapha Ramid, respectivement députés du Parti de la renaissance et de la vertu et du Parti de la justice et du développement (islamistes tous deux), se prononcent contre le MALI, ils sont plus ou moins dans leur rôle. Mais que le conseiller royal Mohamed Moâtassim convoque les leaders des principaux partis politiques du royaume pour les inciter à condamner “avec fermeté” un pique-nique ramadanien qui n’a même pas eu lieu (ils s’en donneront tous à cœur joie dans leurs journaux, dès le lendemain)… voilà qui devient franchement effrayant. Le système a-t-il donc perdu la tête ? L’inquiétude, en tout cas, dépasse largement le cercle des six pour devenir nationale. Témoin, cette chaîne de restauration rapide, connue pour servir des repas pendant la journée, qui ressent soudain le besoin de placarder à l’entrée de tous ses restaurants une affiche stipulant : “Pendant les journées de ramadan, seuls les enfants et les adultes non musulmans peuvent être servis sur place (sur présentation de justificatif)”. Ambiance.
Vent de solidarité
Mais il y a tout de même quelques bonnes nouvelles. Les militants de MALI ne font pas l’unanimité contre eux. L’AMDH et l’OMDH, des organismes respectés de défense des droits humains, ainsi que l’association Bay Al Hikma, initiatrice en 2007, après les émeutes homophobes de Ksar El Kebir, de “L’appel pour la défense des libertés individuelles”, prennent fait et cause pour ceux qu’on appelle désormais “les mangeurs de ramadan”. Dans un communiqué daté du 17 septembre, l'AMDH dénonce avec force le comportement des autorités envers les jeunes activistes. Bayt El Hikma lui emboîte le pas le lendemain, allant même jusqu'à demander la révision de l'article 222 du Code pénal. Le 19 septembre, c'est au tour de l’organisation internationale Human Rights Watch de réagir, exigeant des autorités marocaines d’annuler toutes les poursuites à l'encontre des dé-jeûneurs. Des particuliers aussi montent au créneau. Omar Radi, journaliste et militant altermondialiste, reprend ainsi en main la page Facebook du MALI, abandonnée par ses initiateurs depuis que l’affaire s’est emballée, et arrose les organisations des droits humains de communiqués. Très vite, sa boîte email est saturée par les menaces de mort. S'il craint pour son intégrité physique, il n’abandonne pas “la cause” pour autant : “Même si la manière dont la première action a été menée était maladroite, le message de MALI est légitime, déclare-t-il à TelQuel. Nous souffrons tous du hiatus entre le Code pénal marocain et les garanties qu’offrent les conventions internationales ratifiées par le Maroc”. Omar n'est pas le seul militant des droits humains, derrière son écran et dans la vraie vie, à militer pour le MALI. Le groupe Facebook de solidarité avec les dé-jeûneurs, créé dans l’urgence par les sœurs de Zineb El Rhazoui après le piratage du groupe officiel, compte aujourd’hui près de mille adhérents. “Nous avons fait le décompte des messages reçus depuis le début de l'affaire, note Omar Radi. Bonne surprise : nous avons un peu plus de messages de soutien que de messages d’insultes”.
Pendant ce temps-là, au commissariat…
Pendant que tout le pays ne parle que d’eux, les six de MALI entament un long marathon policier. Dès le lendemain du pique-nique avorté, la police judiciaire de Mohammedia les convoque pour interrogatoire – sauf Zineb El Rhazoui, qui restera injoignable et introuvable pendant une semaine. Ceux qui répondent au téléphone sont sommés de se rendre immédiatement aux locaux de la PJ, les autres sont cueillis un par un à la porte de leur domicile, ou dans la rue, et acheminés aux mêmes locaux dans des voitures banalisées. Entre mardi 15 et vendredi 18 septembre, Ibtissam, Aziz, Rahim et Ghassan devront pointer chaque jour à la PJ de Mohammedia, dès 10 heures du matin, subir d’interminables séances d’interrogatoires (“questions déplacées, menaces plus ou moins directes et leçons de morale tous azimuts”, résumera l’un d’eux), avant d’être relâchés et reconvoqués pour le lendemain matin.
Le cas de Nizar est particulier. Lundi 14 septembre, au lendemain du pique-nique avorté, cet étudiant à l’école de journalisme de Rabat rejoint sa famille, qui vit à Marrakech. Pendant trois jours, il n’aura pas de contact avec ses camarades du MALI, et se querellera violemment avec son père, à qui le moqaddem du quartier a appris toute l’affaire. Informé de ses droits en détail par le responsable de la section locale de l’AMDH, Nizar refusera de se rendre à une première convocation de la police, non notifiée par écrit. C’est sur Internet qu’il apprendra, dans la nuit de lundi à l’heure du s’hour (car Nizar jeûne) que ses camarades et lui seront poursuivis. Et c’est aussi sur Internet qu’il apprendra, mercredi soir, que le Palais s’est invité à la fête par le biais du conseiller Moâtassim. Cette dernière nouvelle, en particulier, le stupéfie. Il ne ferme plus l’œil de la nuit et attend avec impatience l’arrivée de la presse du lendemain pour en savoir plus.
Jeudi 16 septembre, à 8h du matin, Nizar est devant un kiosque à journaux quand deux policiers en civil l’accostent et le somment de les accompagner au commissariat de Jamaâ El Fna. “Là-bas, ils ont été plutôt sympa avec moi, et m’ont juste posé des questions de routine et pris en photo”, raconte-t-il avant de poursuivre : “Ah oui, ils m’ont quand même pris mon portefeuille et tout ce que j’avais sur moi”. Mais Jamaâ El Fna n’est qu’une étape. A 13 heures, Nizar embarque dans une voiture de police banalisée avec deux inspecteurs, direction la PJ de Mohammedia, là où ses camarades sont interrogés depuis le début de la semaine. Ils prennent d’ailleurs le ftour tous ensemble chez la PJ, dans une ambiance plutôt bon enfant.
“Tu es avec Allah ou avec Satan ?”
Après le repas, l’interrogatoire commence, et l’heure n’est plus à la plaisanterie. Nizar raconte à TelQuel : “J’ai dû donner tout l’état civil de tous les membres de ma famille, un par un, puis raconter ma vie depuis la maternelle et m’expliquer sur mes opinions politiques et religieuses. Ce n’est que tard dans la nuit qu’ils sont entrés dans le vif du sujet. Ils ont alors voulu savoir comment j’avais rejoint le MALI – j’ai dû leur expliquer longuement ce qu’était Facebook et comment ça marchait – et aussi si “j’aime l’islam” ou pas, pourquoi je ne fais pas ma prière, pourquoi je suis habillé tout en noir… L’un d’entre eux m’a même demandé : “Tu es avec Allah ou avec Satan??” C’était complètement surréaliste”. L’interrogatoire terminé, les policiers présentent un PV à Nizar et le pressent de signer “pour sortir vite d’ici, car nous sommes tous fatigués”. Mais l’étudiant prend quand même le temps de lire le PV… et découvre, ahuri, qu’on lui fait dire des choses qu’il n’a jamais dites. “Il y avait écrit que j’avais fumé dans l’appartement de Zineb El Rhazoui, qu’une journaliste espagnole nous avait encouragés à manger et ne plus faire le ramadan… Bref, ils ont inventé un tas de salades pour accréditer la théorie du complot dirigé depuis l’Espagne, et ont voulu mettre tout ça dans ma bouche”. Quand Nizar refuse de signer, les menaces et les intimidations commencent à pleuvoir. Mais il ne cède pas. Rageusement, les policiers le font sortir dans le couloir et l’y font passer toute la nuit debout, en le réveillant à chaque fois que le sommeil le gagne. “Finalement, j’ai sympathisé avec l’un d’entre eux qui m’a autorisé à dormi sur une chaise… Le lendemain vendredi, Ibtissam et les autres étaient revenus, et on a tous eu droit à une leçon de morale individuelle avant qu’ils nous relâchent. Je ne suis sorti de chez eux que vendredi à 17h, sans avoir finalement signé aucun PV”. Les camarades de Nizar, eux, ont tous signé. Certains sans même rien lire, à bout de forces après 4 jours d’interrogatoires…
A l’heure où nous passons sous presse, les poursuites n’ont pas encore été officiellement engagées contre les six du MALI, et Zineb El Rhazoui n’en avait pas encore fini avec la PJ de Mohammedia. L’AMDH s’est déclarée prête à mettre une équipe d’avocats à leur disposition, en plus du ténor du barrau et ancien bâtonnier Abderrahim Jamaï, qui a spontanément proposé ses services à Zineb dès le déclenchement de l’affaire. Et si c’était à refaire ? C’est Ibtissam Lachgar qui nous répond : “Nos convictions n’ont pas changé, mais si nous devions tout reprendre de zéro, nous nous y prendrions autrement, de manière plus structurée – peut-être en organisant des tables rondes, des débats… Notre tort est d’avoir mal estimé les enjeux, nous ne pensions pas que les choses prendraient un tour aussi monstrueux”. Si le procès a effectivement lieu, Ibtissam, Zineb et les autres ne sont pas au bout de leurs surprises.
vendredi 25 septembre 2009
Islam et laïcité : une fausse opposition
Opposer l'islam à la laïcité est monnaie courante en Europe. Pour Olivier Roy, politologue au Centre d'histoire du domaine turc, il n'y a rien de fondé dans cette idée reçue et il nous l'explique.
À l'heure où la question de l'intégration de la Turquie à l'Europe se pose, Olivier Roy s'est intéressé au positionnement de l'islam face à la laïcité. « En Europe, la question de l'islam est perçue comme culturelle, à travers une langue et une culture d'origine. Alors qu'il s'agit d'une reformulation du religieux en dehors du champ traditionnel, sur des bases modernes. On observe une rupture des générations, une individualisation des prises de positions. Porter le voile relève ainsi d'une affirmation individuelle et non plus collective ».
« S'interroger sur la possibilité de cohabitation entre l'islam et la laïcité en France est une fausse question, dit Olivier Roy. C'est la pratique politique et l'histoire qui ont toujours rendu les religions compatibles avec l'organisation politique et sociale des sociétés occidentales », explique t-il. « En Europe, l'islam va s'aligner sur des courants de pensée qui existent déjà ». Le problème ne serait d'ailleurs pas spécifiquement lié à l'islam, mais ressortirait de l'évolution de la place et du rôle des religions en général dans la société.
En France, la laïcité est politique, « elle s'est construite en opposition par rapport à l'Église ». Or un phénomène politique se traduit par du juridique et non par des valeurs partagées. « Il n'y a jamais eu de consensus sur la laïcité. On peut considérer qu'il y a eu un consensus relatif sur les institutions, sur la pratique de la démocratie, mais pas sur ses valeurs. La démocratie n'a pas la même valeur pour le Parti communiste ou l'extrême droite par exemple ».
« Le modèle sur lequel s'est construit la laïcité est en crise », analyse le sociologue. Une crise par le haut avec l'intégration à l'Europe et une crise par le bas avec l'immigration et les problèmes sociaux. Les institutions qui jusqu'ici avaient fonctionné ne parviennent plus à remplir leur rôle d'intégration. Or, l'État en crise se radicalise. Cette gestion autoritaire de la laïcité, par l'adoption d'une loi sur le port du voile par exemple, renforce l'idée que la démocratie n'est pas laïque. L'attitude adoptée par la France stigmatise la façon dont l'État définit le lien social. Ainsi, en France, c'est l'État qui le crée. Alors que dans les modèles anglo-saxons, l'État ne fait qu'arbitrer. En Grande-Bretagne, une femme policier peut porter le voile et cela ne pose pas de problème : ils ne considèrent pas que la laïcité est menacée. « En fait, la France est très isolée dans sa conception de la laïcité ».
"Il y a dans le monde arabe d’aujourd’hui une laïcité de facto"
Laïcité et monde arabe
Le terme de laïcité (‘ilmaniyya) est un mot tard venu dans la langue arabe. Inutile de le chercher dans les grands dictionnaires, le Lissan el ‘arab ou le Taj el ‘arouss. Le Mounjed pour sa part l’insère dans une annexe regroupant tous les mots forgés au xxe siècle. C’est vers le milieu du xixe siècle seulement que le terme ‘ilmaniyya fait son apparition, de façon subreptice, lorsqu’il est utilisé par les hommes de la Nahda (la Renaissance arabe) pour plaider la cause d’une distinction entre les pouvoirs religieux et civils. Ils entendaient séparer la religion, comme croyance personnelle et privée, de la politique, comme sphère publique non discriminatoire, traduisant ainsi le slogan qui, depuis, a fait son chemin « La religion est affaire de Dieu et la patrie nous concerne tous. » Ils induisaient par là-même le rejet du sultan ottoman, qui se voulait calife et chef spirituel et politique de tous les musulmans où qu’ils soient.
Les hommes de la « Renaissance »
Le mot ‘ilmaniyya apparaissait tantôt à côté de nahda (renaissance et résurgence), tantôt à côté de tanwir (illuminisme), ou encore de huriyya (liberté). Il s’inscrivait dans ce cortège de concepts nouveaux destinés à inaugurer les temps modernes. Qu’on pense, par exemple, à la signification qu’a pris le mot liberté sous l’effet de la Nahda. Le mot Hurr désignait l’affranchi, celui qui est libéré de sa condition de servitude, d’esclave. A partir de cet adjectif, on créa huriyya qui a vu son champ sémantique s’élargir et rejoindre les idéaux de la Révolution française de 1789.
Mais toutes ces expressions se propageaient au sein d’une société encore largement tribale où les structures relevaient du patriarcat – le pater familias disposant de droits démesurés sur tous les membres de sa famille. L’analphabétisme s’étendait à toutes les couches de la société et les écoles commençaient à peine à fleurir.
L’apparition, dans un tel contexte, du mot ‘ilmaniyya (laïcité) n’est pas évidente. Il a suscité un véritable débat étymologique dont on doit tenir compte pour mesurer toute sa nouveauté. Devait-on lire ‘ilmaniyya, avec un « i » à la première syllabe, le faisant dériver de ‘ilm qui est l’un des degrés de la connaissance, la science ? Ou avec un « a » (et non point un « i » à la première syllabe), ‘almaniyya provenant de ‘alm, à savoir le monde séculier, issu du laïkos grec et correspondant au secularism anglais ? A elle seule, cette morphologie du mot a suscité la fatwa d’un mufti libanais, le cheikh ‘Abdallah al- ‘Alailli. Dans cette société patriarcale et tribale tout à la fois, « laïciser le pouvoir » signifierait non seulement le rejet de la référence religieuse mais la remise de ce pouvoir aux mains des hommes et plus particulièrement aux hommes de la science moderne, aux techniciens et aux scientifiques.
C’est surtout l’adjectif ‘ilmani (laïque) qui fut sollicité pour dénigrer certaines instances civiles, que le libanais Farah Antun voulait soustraire à l’autorité religieuse. Mohammad ‘Abduh, de son côté, parle du calife comme d’« un gouverneur civil à tous égards ». Très rapidement, l’adjectif ‘ilmani (laïque) devint synonyme de madani (civil) et se substitua à lui. ‘ilmani (laïque) devint une sorte de prescription civile, qui ne tarda pas à concrétiser une revendication politique essentielle à la Nahda (la Renaissance arabe).
Dès lors, le terme de laïcité n’a cessé de soulever autour de lui une impressionnante série d’interrogations, d’enjeux et de choix : sur l’identité, la nationalité, la citoyenneté, l’appartenance et l’intégration dans le corps même de l’Umma. Très rapidement, l’expression a pris une extension impressionnante, cristallisant toutes les revendications d’une Renaissance.
La citoyenneté pour les chrétiens
Pour le chrétien d’Orient qui ne posait pas de problèmes d’intégration, mais qui voulait être reconnu dans sa différence religieuse, la laïcité lui ouvrait les portes de la citoyenneté, une pleine citoyenneté lui permettant de devenir un acteur véritable dans sa société. Le voilà reconnu comme membre à part entière dans cet Orient arabe dans lequel il est présent depuis toujours. Une véritable dynamique d’insertion se met en place, favorisant sa participation effective aux affaires publiques. Il est débarrassé de sa condition de dhimmi, dans laquelle il était confiné depuis des siècles.
Sans mettre en avant leur religion, les chrétiens de la Nahda ont compris qu’ils avaient tout à gagner en articulant laïcité et citoyenneté. Etre chrétien n’exclut pas le fait d’être citoyen arabe, jouissant de ces droits que la nationalité arabe octroie à chacun. Ainsi la laïcité se libère-t-elle du carcan confessionnel et, au lendemain de l’indépendance, la Syrie est le premier pays arabe à supprimer la mention de l’appartenance religieuse sur les nouvelles cartes d’identité syriennes. L’identité construite jusqu’alors sur la religion se voit renforcée de nouvelles garanties juridiques qui découlent de la citoyenneté. Appartenir à la communauté culturelle arabe permettra aux chrétiens arabes de se saisir mieux de leur spécificité, au sein du pays auquel ils appartiennent. Arabes culturellement, chrétiens confessionnellement, irakiens, égyptiens ou syriens politiquement : telle est la formule, l’étiquette sous laquelle le chrétien arabe situe l’environnement dans lequel il vit. Un ordre de priorité identitaire est mis au jour, en pointant sur l’importance de la communauté. Sati’ al-Husri, un des idéologues du nationalisme arabe, va jusqu’à dire : « L’arabité n’appartient pas en propre aux fils de la péninsule arabe, ni aux seuls musulmans, elle concerne tout individu appartenant à un pays arabe et parlant l’arabe, qu’il soit égyptien, koweïtien ou marocain, qu’il soit musulman ou chrétien, qu’il soit sunnite, ja’afarite ou druze, qu’il soit catholique, orthodoxe ou protestant [1]. »
Pouvoir religieux et pouvoir politique
Du côté musulman, les hommes de la Nahda ont rapidement perçu que l’islam était essentiellement lié au pouvoir civil et à la société civile et qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient de leur vie aussi longtemps qu’ils sauvegarderaient leur islam. Un Mohammad ‘Abduh n’a eu de cesse de rappeler et d’expliquer que « pour aussi élevé que soit son rang, il n’avait aucun droit sur un autre, aussi bas que soit le niveau de ce dernier, sinon celui de donner conseil et de guider : il n’y a pas en islam, de quelque façon que ce soit, ce qu’on pourrait appeler un pouvoir religieux. Aucun surveillant entre l’homme et Dieu, sinon Dieu seul, parce que l’islam a affranchi le croyant de tout surveillant ». Rien n’empêchait, dès lors, cet islam progressiste de s’accorder et de s’harmoniser avec la laïcité ou la démocratie et les sciences modernes. Depuis le moment charismatique de sa fondation, l’islam a fait preuve de clairvoyance, de souplesse et de réalisme pragmatique en s’accommodant avec les sociétés tribales comme avec les sociétés pastorales, avec les Etats hiérarchiques et bureaucratiques comme avec les Etats mercantiles et commerciaux.
« L’islam, nous dit Sadep Galal al-Azur, s’est propagé dans toutes sortes de cultures, de sociétés et de civilisations contrastées et diverses » et « l’homo islamicus est cet homme détenteur d’une énergie impressionnante en vue de se transformer, de se modeler, d’être souple, d’interpréter, de commenter, de réviser, etc. ». « Il n’est pas étonnant que le consentement à la laïcité soit venu bien lentement, sous une forme non officielle, par « modelage » pragmatique et progressif, à pas tremblants et hésitants, grâce à des solutions de compromis, grâce à ce que les Américains appellent marriages of convenience et les Français mariage de raison, mais sans que survienne un « moment » dramatique fort, comme cela s’est passé en Turquie. Le président Gamal Abdel Nasser, à mon avis, avait la possibilité d’oser avec succès un tel pas exceptionnel et audacieux au moment où il nationalisa le canal de Suez. Mais il ne l’a pas fait et, en réaction à tout cela, survint alors ce reflux dramatique pour le monde arabe qui prit la forme du fondamentalisme islamique, de la reviviscence religieuse islamique, de la rébellion fondamentaliste armée, etc. ».
Notre débat
Quant à la question d’aujourd’hui : « Quelle est votre définition de la laïcité ? », l’islam issu de la Nahda répond : « C’est avant tout une réflexion au sujet de ce qui est relatif pour mieux distinguer le relatif de l’absolu [2]. » Pour le Dr Muhammad Rida Muharram, « la laïcité est ce qui place le pouvoir politique parmi les réalités de ce monde et le pouvoir religieux parmi les réalités divines ». Nasr Hamid Abû Zayd ajoute dans sa Critique du discours religieux : « La laïcité n’est essentiellement que la véritable interprétation et la compréhension scientifique du phénomène religieux. » Et encore Faraj Fawdah : « Le régime sécularisé tient sa loi de la constitution et s’efforce à pratiquer la justice par l’application de la constitution. Il adhère à la loi de la Charte des droits de l’homme. »
Autant de déclarations qui témoignent que la laïcité a fait du chemin depuis le début de la Nahda et qu’elle est l’objet de recherches et de débats. Il y a, en effet, dans le monde arabe d’aujourd’hui une laïcité de facto, ni tout à fait reconnue, ni tout à fait déniée, une laïcité incertaine, insuffisante et improbable, réduite à une sorte de concept qui circule mais sans épaisseur et sans réalité effective. Un effet de langage têtu et tenace qui provoque l’irritation et la peur de l’islamiste mais aussi la recherche et l’approfondissement de l’intellectuel, héritier de la Nahda.
Faut-il éliminer de la réflexion philosophique le mot d’ordre de laïcité, pour lui substituer les concepts de démocratie et de rationalisme, qui disent de façon plus adéquate les nécessités de la société arabe : une démocratie qui garantit à la fois les droits des individus et des groupes, un rationalisme qui signifie une pratique politique émanant de la raison et de ses critères de logique et de morale ? C’est notre débat aujourd’hui.
Notes
Habib Moussalli
1 Al Husri (Sati’), Al ‘Uruba awwalan (L’arabité d’abord), Beyrouth, 1955, p. 14.
2 Dr. Murad Wahbah, revue Ibda‘, n° 6, 1992, p. 6.
Un lieu de prière fictif suscite la colère de musulmans
Ce qui ont fait fermer cette exposition on commis une grave atteinte à la liberté d'expression et de création. Comme laïc cela me choque profondément, cela vaut aussi permettre aux islmophobes de tous poils de s'en donner à cœur joie.
Nous les laïcs de culture musulmane ne devrions jamais laisser ce genre de choses car cela ne fait que renforcer les clans du clash des civilisations càd : d'un côté les laïcistes éradicateurs et de l'autre certains obscurantistes musulmans qui s'autoalimentent de leur haine respectives. Rendant les propos des laïcs musulmans inaudibles car pour les laïcistes éradicateurs nous sommes des "intégristes cachées" et pour les obscurantistes, le fait d'être laïc équivaut à une excommunication!
Un lieu de prière fictif suscite la colère de musulmans
L’installation de l’artiste français Mehdi-Georges Lahlou interrogeait la place de la femme dans l’Islam. Elle représentait un lieu de prière, au milieu duquel se trouvait une paire de talons aiguilles rouges. Elle a été démontée plus tôt que prévu après avoir provoqué l’indignation et la colère de certains musulmans.
DR
Cette reconstitution d’un espace de prière musulmane, dans laquelle on trouve des escarpins à talons, suscite l’indignation de personnes issues de la communauté musulmane, selon le gestionnaire de la galerie, Olivier Dejong. L’oeuvre de Mehdi-Georges Lahlou, recouverte ces derniers jours d’un panneau noir, aura été démontée plus tôt que prévu.
« L’installation ’Cocktail, ou autoportrait en société’ est une reconstitution d’un espace de prière musulmane, représenté à l’infini », a expliqué l’artiste français Mehdi-Georges Lahlou. « Une trentaine de tapis de prière sont disposés au sol en direction de la Mecque. Devant chaque tapis est placée une paire de chaussures masculines, qui représente l’homme’ en prière. Au milieu, sur un tapis vert, est disposée une paire de chaussures rouges brillantes à talons. Dans ma pratique, j’utilise très souvent ce seul stigma féminin pour me ’travestir’ et donc questionner ma sexualité », a confié Mehdi-Georges Lahlou.
« Les membres de la communauté musulmane identifieraient donc à première vue les chaussures rouges à une femme ou une prostituée qui serait en prière parmi les ’hommes’, ce qui est perçu comme un acte contre l’Islam », a ajouté l’artiste français. Celui-ci a déploré l’incompréhension à l’égard de son oeuvre, qui vient selon lui du fait que le titre ne soit pas lu. « ’Autoportrait en société’ laisse entendre que les escarpins rouges représentent l’artiste. Plus qu’une prostituée, c’est un travesti qui est représenté », a expliqué Mehdi-Georges Lahlou.
Vitrine abîmée
« La vitrine abritant l’installation a été la cible de jets de pierres et de crachats à plusieurs reprises et a même été ébréchée », a indiqué le gestionnaire de la galerie. Recouverte d’un panneau noir ces derniers jours, l’installation aura été démontée quelques jours plus tôt. « Il était de toute façon prévu de placer une nouvelle oeuvre lundi, mais nous aurions préféré enchaîner directement avec la nouvelle installation », a ajouté Olivier Dejong.
(belga)
jeudi 24 septembre 2009
Moi, Mustapha Kessous, journaliste au "Monde" et victime du racisme
"Ça fait bien longtemps que je ne prononce plus mon prénom quand je me présente au téléphone"
Trois mois plus tard, lundi 7 juillet, jour de mes 29 ans. Je couvre le Tour de France. Je prépare un article sur ces gens qui peuplent le bord des routes. Sur le bitume mouillé près de Blain (Loire-Atlantique), je m'approche d'une famille surexcitée par le passage de la caravane, pour bavarder. "Je te parle pas, à toi", me jette un jeune homme, la vingtaine. A côté de moi, mon collègue Benoît Hopquin n'a aucun souci à discuter avec cette "France profonde". Il m'avouera plus tard que, lorsque nous nous sommes accrédités, une employée de l'organisation l'a appelé pour savoir si j'étais bien son... chauffeur.
Je pensais que ma "qualité" de journaliste au Monde allait enfin me préserver de mes principaux "défauts" : être un Arabe, avoir la peau trop basanée, être un musulman. Je croyais que ma carte de presse allait me protéger des "crochets" balancés par des gens obsédés par les origines et les apparences. Mais quels que soient le sujet, l'endroit, la population, les préjugés sont poisseux.
J'en parle souvent à mes collègues : ils peinent à me croire lorsque je leur décris cet "apartheid mental", lorsque je leur détaille les petites humiliations éprouvées quand je suis en reportage, ou dans la vie ordinaire. A quoi bon me présenter comme journaliste au Monde, on ne me croit pas. Certains n'hésitent pas à appeler le siège pour signaler qu'"un Mustapha se fait passer pour un journaliste du Monde !"
Ça fait bien longtemps que je ne prononce plus mon prénom lorsque je me présente au téléphone : c'est toujours "M. Kessous". Depuis 2001, depuis que je suis journaliste, à la rédaction de Lyon Capitale puis à celle du Monde, "M. Kessous", ça passe mieux : on n'imagine pas que le reporter est "rebeu". Le grand rabbin de Lyon, Richard Wertenschlag, m'avait avoué, en souriant : "Je croyais que vous étiez de notre communauté."
J'ai dû amputer une partie de mon identité, j'ai dû effacer ce prénom arabe de mes conversations. Dire Mustapha, c'est prendre le risque de voir votre interlocuteur refuser de vous parler. Je me dis parfois que je suis parano, que je me trompe. Mais ça s'est si souvent produit...
A mon arrivée au journal, en juillet 2004, je pars pour l'île de la Barthelasse, près d'Avignon, couvrir un fait divers. Un gamin a été assassiné à la hachette par un Marocain. Je me retrouve devant la maison où s'est déroulé le drame, je frappe à la porte, et le cousin, la cinquantaine, qui a tenté de réanimer l'enfant en sang, me regarde froidement en me lançant : "J'aime pas les Arabes." Finalement, il me reçoit chez lui.
On pensait que le meurtrier s'était enfui de l'hôpital psychiatrique de l'endroit : j'appelle la direction, j'ai en ligne la responsable : "Bonjour, je suis M. Kessous du journal Le Monde..." Elle me dit être contente de me recevoir. Une fois sur place, la secrétaire lui signale ma présence. Une femme avec des béquilles me passe devant, je lui ouvre la porte, elle me dévisage sans me dire bonjour ni merci. "Il est où le journaliste du Monde ?", lance-t-elle. Juste derrière vous, Madame : je me présente. J'ai alors cru que cette directrice allait s'évanouir. Toujours pas de bonjour. "Vous avez votre carte de presse ?, me demande-t-elle. Vous avez une carte d'identité ?" "La prochaine fois, Madame, demandez qu'on vous faxe l'état civil, on gagnera du temps", riposté-je. Je suis parti, évidemment énervé, forcément désarmé, avant de me faire arrêter plus loin par la police qui croyait avoir... trouvé le suspect.
Quand le journal me demande de couvrir la révolte des banlieues en 2005, un membre du club Averroès, censé promouvoir la diversité, accuse Le Monde d'embaucher des fixeurs, ces guides que les journalistes paient dans les zones de guerre. Je suis seulement l'alibi d'un titre "donneur de leçons". L'Arabe de service, comme je l'ai si souvent entendu dire. Sur la Toile, des sites d'extrême droite pestent contre "l'immonde" quotidien de référence qui a recruté un "bougnoule " pour parler des cités.
Et pourtant, s'ils savaient à quel point la banlieue m'était étrangère. J'ai grandi dans un vétuste appartement au coeur des beaux quartiers de Lyon. En 1977, débarquant d'Algérie, ma mère avait eu l'intuition qu'il fallait vivre au centre-ville et non pas à l'extérieur pour espérer s'en sortir : nous étions parmi les rares Maghrébins du quartier Ainay. Pour que la réussite soit de mon côté, j'ai demandé à être éduqué dans une école catholique : j'ai vécu l'enfer ! "Retourne dans ton pays", "T'es pas chez toi ici", étaient les phrases chéries de certains professeurs et élèves.
Le 21 décembre 2007, je termine une session de perfectionnement dans une école de journalisme. Lors de l'oral qui clôt cette formation, le jury, composé de professionnels, me pose de drôles de questions : "Etes-vous musulman ? Que pensez-vous de la nomination d'Harry Roselmack ? Si vous êtes au Monde, c'est parce qu'il leur fallait un Arabe ?"
A plusieurs reprises, arrivant pour suivre un procès pour le journal, je me suis vu demander : "Vous êtes le prévenu ?" par l'huissier ou le gendarme en faction devant la porte du tribunal.
Le quotidien du journaliste ressemble tant à celui du citoyen. Depuis plusieurs mois, je cherche un appartement. Ces jours derniers, je contacte un propriétaire et tombe sur une dame à la voix pétillante : "Je m'appelle Françoise et vous ?" "Je suis M. Kessous ", lui répondis-je en usant de mon esquive habituelle. "Et votre prénom ?", enchaîne-t-elle. Je crois qu'elle n'a pas dû faire attention à mon silence. Je n'ai pas osé le lui fournir. Je me suis dit que, si je le lui donnais, ça serait foutu, qu'elle me dirait que l'appartement avait déjà été pris. C'est arrivé si souvent. Je n'ai pas le choix. J'hésite, je bégaye : "Euhhhhh... Mus... Mustapha."
Au départ, je me rendais seul dans les agences immobilières. Et pour moi - comme par hasard - il n'y avait pas grand-chose de disponible. Quand des propriétaires me donnent un rendez-vous pour visiter leur appartement, quelle surprise en voyant "M. Kessous" ! Certains m'ont à peine fait visiter les lieux, arguant qu'ils étaient soudainement pressés. J'ai demandé de l'aide à une amie, une grande et belle blonde. Claire se présente comme ma compagne depuis cet été et fait les visites avec moi : nous racontons que nous allons prendre l'appartement à deux. Visiblement, ça rassure.
En tout cas plus que ces vigiles qui se sentent obligés de me suivre dès que je pose un pied dans une boutique ou que ce vendeur d'une grande marque qui ne m'a pas ouvert la porte du magasin. A Marseille, avec deux amis (un Blanc et un Arabe) - producteurs du groupe de rap IAM -, un employé d'un restaurant a refusé de nous servir...
La nuit, l'exclusion est encore plus humiliante et enrageante, surtout quand ce sont des Noirs et des Arabes qui vous refoulent à l'entrée d'une boîte ou d'un bar. Il y a quatre mois, j'ai voulu amener ma soeur fêter ses 40 ans dans un lieu parisien "tendance". Le videur nous a interdit l'entrée : "Je te connais pas !" Il aurait pourtant pu se souvenir de ma tête : j'étais déjà venu plusieurs fois ces dernières semaines, mais avec Dida Diafat, un acteur - dont je faisais le portrait pour Le Monde - et son ami, le chanteur Pascal Obispo.
Fin 2003, je porte plainte contre une discothèque lyonnaise pour discrimination. Je me présente avec une amie, une "Française". Le portier nous assène le rituel "Désolé, y a trop de monde." Deux minutes plus tard, un groupe de quinze personnes - que des Blancs - entre. Je veux des explications. "Dégage !", m'expédie le videur. La plainte sera classée sans suite. J'appellerai Xavier Richaud, le procureur de la République de Lyon, qui me racontera qu'il n'y avait pas assez d'"éléments suffisants".
Que dire des taxis qui après minuit passent sans s'arrêter ? Que dire de la police ? Combien de fois m'a-t-elle contrôlé - y compris avec ma mère, qui a plus de 60 ans -, plaqué contre le capot de la voiture en plein centre-ville, fouillé jusque dans les chaussettes, ceinturé lors d'une vente aux enchères, menotté à une manifestation ? Je ne compte plus les fois où des agents ont exigé mes papiers, mais pas ceux de la fille qui m'accompagnait : elle était blonde.
En 2004, une nuit à Lyon avec une amie, deux policiers nous croisent : "T'as vu le cul qu'elle a !", lance l'un d'eux. "C'est quoi votre problème ?" rétorqué-je. Un des agents sort sa matraque et me dit en la caressant : "Il veut quoi le garçon ?" Le lendemain, j'en ai parlé avec Yves Guillot, le préfet délégué à la police : il m'a demandé si j'avais noté la plaque de leur voiture. Non...
En 2007, la brigade anticriminalité, la BAC, m'arrête sur les quais du Rhône à Lyon : j'étais sur un Vélo'v. On me demande si j'ai le ticket, si je ne l'ai pas volé. L'autre jour, je me gare en scooter sur le trottoir devant Le Monde. Je vois débouler une voiture, phares allumés : des policiers, mains sur leurs armes, m'arrêtent. Je leur dis que je travaille là. Troublés, ils me demandent ma carte de presse, mais pas mon permis.
Des histoires comme celles-là, j'en aurais tant d'autres à raconter. On dit de moi que je suis d'origine étrangère, un beur, une racaille, un islamiste, un délinquant, un sauvageon, un "beurgeois", un enfant issu de l'immigration... Mais jamais un Français, Français tout court.
mercredi 23 septembre 2009
Nadia Geerts et l’islamophobie des égouts
Pour Nadia Geerts voici quelques arguments de "haut niveau" qui montrent comment quelques enfants musulmans remettent « en question des fondements de la vie scolaire, et plus largement de la vie en société » dixit Nadia Geerts
- refus par l'enfant de colorier un dessin car il s'agit d'un cochon!!!
- refus par un enfant de 1ère primaire d'écrire une addition car il y voit le signe de "Jésus"
- refus de l'autorité des enseignants et de la Direction
- refus de signer les notes du journal de classe quand ce qu’il y lit ne lui convient pas.
Et dans les commentaires on retrouve :
« J'ai connu ça en Inspection Médicale Scolaire : nous ne pouvions faire passer en même temps filles et garçons lors de la visite médicale (des petits bouts de l'école maternelle !) » Commentaire n° 1 posté par chantal
Et le plus claire :
« Intolérance, haine de la Belgique et des Belges, harcèlement, racisme anti-blancs : tout cela ne fait que confirmer la réalité de ce que j'ai vécu voici dix ans, lorsque j'étais scolarisé dans un établissement à forte population maghrébine, au centre de Bruxelles.
J'aurais dû écouter les mises en garde du proviseur qui m'avait prévenu qu'il y avait beaucoup d'étrangers dans son école : j'y suis rentré sympathisant du FDF et j'en suis ressorti avec ma carte du FN. » Commentaire n° 2 posté par Georges-Pierre Tonnelier
NB : j'ai gardé des copies des écrans au cas où...