mercredi 10 juin 2009

Cela se passe en France en 2009

Au moins, l’affaire Geisser aura-t-elle eu la vertu de révéler la présence d’un type de fonctionnaire inconnu dans le monde de l’Université et de la Recherche : le fonctionnaire de sécurité de défense dit FSD. Il en est un, effectivement préposé au CNRS, du nom de Joseph Illand. Que fait-il ? Il surveille les travaux des chercheurs afin d’y relever tout ce qui pourrait nuire à la sécurité et à la défense de la France, ainsi qu’il s’en expliquait ici. Ce qui n’est pas inutile en temps de terrorisme. Seulement voilà, il semble que M. Illand ait été tellement zélé que son rapport sur Vincent Geisser, politologue à l’Irenam (Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman) d’Aix-en-Provence, ait conduit à une possible sanction contre celui-ci. Motif : islamophilie. Pièce à charge : son livre La Nouvelle islamophobie (La Découverte, 2003). Vincent Geisser sera fixé le 29 juin; ce jour-là, il comparaîtra devant une commission du CNRS pour “manquement grave” à l’obligation de réserve à laquelle sont tenus les fonctionnaires. Voilà une conception du métier qui ne manquera pas d’enrichir le débat ouvert depuis plusieurs mois par le gouvernement sur les conditions et la finalité du métier de chercheur.

yuri-kozyrevnoor-for-time-magazine.1244623761.jpg Ce M. Illand est doté d’un réel pouvoir si l’on en croit ce qu’a confié le chercheuse Françoise Lorcerie à Libération :”Quand on part en mission à l’étranger dans des pays sensibles, on est obligés de lui communiquer nos plans de mission: qui on va rencontrer, où on va loger. Et on doit avoir son autorisation pour partir». Or il se trouve que Vincent Geisser travaillait depuis quelques temps avec son laboratoire sur une vaste enquête consacrée à l’apport des universitaires maghrébins au rayonnement de la recherche française dans le monde, notamment dans les sciences fondamentales. Il se plaint d’être l’objet d’un véritable harcèlement moral depuis cinq ans de la part de ce surveillant au nom de l’impératif sécuritaire. C’est pourquoi ceux nombreux qui le défendent, à commencer par sa collègue l’historienne Esther Benbassa, estiment que cette affaire va au-delà du cas Geisser :”Elle traduit l’intrusion inquiétante de logiques policières et sécuritaires au sein même des milieux scientifiques et universitaires, dont la finalité est de contrôler la production et la diffusion du savoir”. Le politologue Olivier Roy, également spécialisé sur le monde arabo-musulman, va plus loin encore puisqu’il évoque une attaque systématique envers les chercheurs qui refusent les clichés sur l’Islam :”En 2007-2008, j’ai reçu un mail signé du haut-fonctionnaire de défense me picassoabudhabiafp.1244623804.jpgreprochant de mieux traiter l’islam que le christianisme. Estimant que cette personne n’avait pas à faire état de ses fonctions en exprimant ses opinions personnelles à l’encontre d’une fonctionnaire sur qui il pouvait avoir autorité, et en accord avec mon directeur de laboratoire, j’ai ignoré ce message et je l’ai mis en spam. Il apparaît maintenant qu’il s’agissait d’une sorte de provocation et je regrette d’avoir traité cette affaire simplement par le mépris”.

Que Vincent Geisser, chargé de recherche au CNRS et président du Centre d’information et d’études sur les migrations internationales (CIEMI), spécialisé depuis des années sur les migrations intellectuelles entre l’Europe et le Maghreb, soit un chercheur engagé, voire même “exalté” dans ses engagements selon un ancien élève admiratif, que sa proximité avec son sujet lui ait conféré une réputation d’islamophile, qu’il ait exprimé à plusieurs reprises sa défiance dans des courriers ou des prises de parole sur l’ingérence de ce fonctionnaire “Sécurité et Défense” dans ses travaux et ceux de ses collègues, tout cela ne fait guère de doute. Mais si un tel comportement devait justifier une quelconque sanction à son endroit, alors on peut prédire de “beaux jours” à un certain nombre de chercheurs français dans leur vie quotidienne. Ce qui n’a pas échappé à nombre de collègues de Vincent Geisser qui se sont immédiatement mobilisés (lettre ouverte à la ministre et pétition) pour le soutenir. Toutes sensibilités confondues, cela va de soi.

mardi 2 juin 2009

En quelques mois, « Siné hebdo » a dépassé « Charlie Hebdo »


Licencié de « Charlie Hebdo » en juillet 2008 pour avoir critiqué Jean Sarkozy, le fils du président, le dessinateur Siné a lancé « Siné Hebdo ». Anticapitaliste, anticolonialiste, antisioniste, Siné dénonce les dérives de son ancien journal.

On peut devenir patron de presse à l’âge où d’autres ne quittent plus leurs pantoufles. Pour preuve, Maurice Sinet, dit Siné, soufflera 81 bougies à la fin de l’année. Depuis quelques mois, il dirige « Siné Hebdo », un journal satirique vendu à 50 000 exemplaires, et qui salarie une dizaine de permanents. « Siné Hebdo », installé à Montreuil, se paye même le luxe de dépasser « Charlie Hebdo », dont le patron, Philippe Val, vient d’être nommé… à Radio France, avec la bénédiction de l’Elysée.

Siné a eu plusieurs vies. Chanteur de cabarets, amateur de jazz, il a même travaillé dans des publications très sérieuses comme « L’Express », avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, et « Révolution africaine », en compagnie de Jacques Verges. Depuis 1981, cet anarchiste, anticlérical, anticapitaliste, anticolonialiste, antisioniste, signait dans « Charlie Hebdo ». En juillet 2008, Siné s’en prend à Jean Sarkozy. Il écrit que ce dernier se serait converti au judaïsme par arrivisme, afin d’épouser la riche héritière juive du fondateur de l’enseigne Darty. Est-ce du racisme ? De l’antisémitisme ? Philippe Val, le directeur du journal, qui craint des représailles de l’Elysée, le licencie. Siné jure qu’il n’est pas antisémite. Il n’a fait qu’user de son droit à la satire.

« Charlie Hebdo » proche de Nicolas Sarkozy

« La presse, et plus particulièrement Internet, m’a largement soutenu contre la direction de “Charlie Hebdo“. “Pourquoi ne lances-tu pas un journal ?“ m’a proposé un imprimeur ? Je te fais crédit », raconte Siné. Avec son épouse Catherine, et quelques amis, ils se jettent dans l’aventure, persuadés de ne travailler que pour la gloire. Le premier numéro de « Siné Hebdo » est vendu à… 130 000 exemplaires. Un deuxième, puis un troisième numéro suivent. Aujourd’hui, le journal a stabilisé ses ventes autour de 50 000 exemplaires. Il emploie une dizaine de permanents, sans compter 80 à 90 pigistes.

En fait, « Siné Hebdo » ressemble comme deux gouttes d’eau à « Charlie Hebdo ». Même format, même prix (deux euros), même jour de sortie, le mercredi, même goût pour la satire. Sauf que « Charlie Hebdo », depuis l’affaire des caricatures du Prophète, ne cesse de rogner ses griffes, allant jusqu’à montrer quelques sympathies pour … Nicolas Sarkozy. Pour preuve, l’Elysée vient de promouvoir Philippe Val, son directeur, à Radio France ! Pour être admis à la table des grands, Philippe Val « a laissé entendre que les altermondialistes étaient antisémites », dénonce Bernard Cassen, le fondateur d’Attac.

Siné, antisioniste militant

Résultat, « Charlie Hebdo » est en chute libre, aujourd’hui dépassé par « Siné Hebdo ». Le dessinateur Charb, qui vient de succéder à Philippe Val, l’a reconnu dans « Le Monde » récemment : « En avril, nous avons vendu en moyenne 38 000 exemplaires en kiosque contre 52 000 l’été dernier (…) Comme d’autres, nous subissons les baisses de diffusion de la presse, en plus de la concurrence ».

Pour Siné, la chute de son ancien journal a d’autres explications. « Charlie Hebdo a perdu sa tradition libertaire. Dans la rédaction, les gens se détestent. Ils ne savent plus plaisanter. Ajoutez à cela un soutien inconditionnel à Israël », déplore le vieux dessinateur, qui ne cache pas son antisionisme militant. En 2004, n’a-t-il pas appelé à voter pour la liste Euro-Palestine ? Il est intéressant d’imaginer les conférences de rédaction de « Charlie Hebdo », quand Siné et Caroline Fourest étaient assis à la même table…

L’ancien fondateur de « L’Enragé », en mai 1968, avec Jean-Jacques Pauvert, est surtout un anarchiste. Dans l’un de ses derniers éditoriaux, il avoue qu’il prend son pied « à malmener les gens que je déteste et à louer ceux que j’aime ». « En juin, nous lançons notre premier hors-série afin de faire découvrir de jeunes dessinateurs que nous apprécions », annonce-t-il, avant d’ajouter en souriant : « Si nous avions commandé une étude de marché en 2008, on nous aurait forcément conseillé de ne pas lancer un journal ».